SAISON 2 : LA SANTÉ EN SÉRIES

8e Série :  THE KNICK

(Création Jack Amiel et Michael Begler)

SANG, SCALPEL ET VIDÉO

L’histoire de la médecine représente une source inépuisable de scénarios. En attendant que nos créateurs de séries médicales explorent la vie et l’œuvre d’Ambroise Paré, de Pasteur ou de Larrey (le chirurgien en chef de la Grande Armée de Napoléon), Steven Soderbergh (réalisateur, entre autres, de Sexe, Mensonges et vidéo, Palme d’or au Festival de Cannes en 1989) s’est vu confier la réalisation des deux premières saisons de The Knick, brillante et libre adaptation de la vie du Dr William Stewart Halsted (1852-1922).

Halsted était un chirurgien en avance sur son temps, pionnier en matière d’anesthésie et d’asepsie, inventeur de nombreuses techniques opératoires, toujours prêt à expérimenter sur lui-même des traitements innovants. C’est même ainsi qu’il devint cocaïnomane, cobaye puis victime de ses propres recherches sur le traitement de la douleur.

Autant dire qu’il était le client idéal pour revivre sous les traits caricaturaux d’un Dr John Thackery Clive Owen,  chirurgien chef du Knickerbocker Hospital de New-York (d’où le titre de la série) !

Le reste fut d’affaire d’imagination ; le talent des scénaristes, du réalisateur et de tous les opérateurs aboutissant à un réalisme étonnant, tant dans la représentation de cette ville alors insalubre, à la promiscuité effarante, corrompue jusqu’à l’os, qu’à celle des ambiances parfois terrifiantes de cette chirurgie du début du 20ème siècle.

L’immigration est alors vécue comme la source de tous les maux, entretenant un racisme illustré odieusement par le Dr Thackery, amoral, misanthrope, et qui n’aura de cesse d’humilier le Chirurgien noir Algernon Edwards, un praticien surqualifié que la direction de l’hôpital veut lui imposer.

Mais la grande prouesse tient aux reconstitutions aussi terrifiantes qu’esthétiques des interventions chirurgicales de l’époque ; dans le cadre d’un amphithéâtre garni d’apprentis chirurgiens, décor d’une souffrance humaine où l’empathie n’a guère de place face au spectacle cruel de l’expérimentation sur le vivant.

Âmes sensibles s’abstenir !

 

Pourtant, ce qui s’apparente souvent à une boucherie représente les méthodes les plus innovantes d’une chirurgie « moderne » où les progrès de l’anesthésie  et de l’asepsie sont réels, où l’électricité révolutionne les interventions et où les inventions de Thackery et d’Edwards (quand il pourra exprimer son talent !) en matière de techniques et d’instruments chirurgicaux préfigurent bon nombre de pratiques d’aujourd’hui. Aurons-nous le plaisir de découvrir une saison 3 ?

Après bien des péripéties, Thackery guérit de son addiction à la cocaïne, … grâce à l’héroïne ! Mais guérira-t-il de sa nécrose intestinale dont il s’opère lui-même, sous locale et avec un miroir pour assistant ? La saison 2 se clôture sur cette énigme, nous laissant épuisés par cette plongée dans la souffrance, les scalpels et le sang.

THÈSE DE MÉDECINE DE CÉLINE

Nous évoquions plus haut des personnages dont la vie et la passion alimenteraient aisément les scénarios de séries télévisées médicales. Il en est un, Philippe Ignace Semmelweis, moins connu et qui a pourtant sa place au Panthéon des grands hommes de médecine. Céline, un des écrivains majeurs du 20ème siècle, médecin de surcroît, ne s’y est trompé en lui consacrant sa thèse. Disons un mot de leurs carrières respectives.

Après avoir obtenu les deux parties de son baccalauréat en 1919, Louis Ferdinand Destouches (1894-1961) se marie avec Édith Follet et s’inscrit à l’École de Médecine de Rennes en 1920. Ses stages à la maternité Tarnier à Paris et en obstétrique à l’Hôpital Cochin le poussent à s’intéresser à la vie et à l’œuvre de Philippe Ignace Semmelweis (1818-1865), chirurgien autrichien à la maternité de Vienne. Il en fait son sujet de thèse qu’il soutient le 1er mai 1924, à Rennes, devant les membres du jury présidé par le Pr Brindeau. Il faut dire que la personnalité de Semmelweis a tout pour passionner le jeune Céline. La mortalité est effroyable à la maternité de Vienne, plus élevée que chez les femmes accouchant chez elle ou parfois dans la rue ! Constatant que cette mortalité, due à ce qu’on appelle la fièvre puerpérale, touche en priorité les femmes accouchées par les mêmes étudiants qui pratiquent auparavant les dissections sur les cadavres, Semmelweis est le premier à avoir l’intuition d’un transport par les mains d’un « agent pathogène ».

Il engage alors un combat contre l’absence d’hygiène responsable de ces infections mortelles. Mais c’est sans compter avec l’obscurantisme de ses maîtres et l’extraordinaire hostilité dont il va devenir la victime. Caractériel, passionné et refusant d’abdiquer, il sombre dans la démence et est vite écarté de toute fonction hospitalière. Dans une ultime crise de folie, il force la porte d’un amphithéâtre d’anatomie de la Faculté de Médecine et entreprend de disséquer un cadavre, préparé pour une démonstration. Écoutons Céline :

« Les étudiants l’ont reconnu, mais son attitude est si menaçante que personne n’ose l’interrompre… Il ne sait plus… il reprend son scalpel et fouille avec ses doigts en même temps qu’avec la lame une cavité cadavérique suintante d’humeurs. Par un geste plus saccadé que les autres il se coupe profondément.

Sa blessure saigne. Il crie. Il menace. On le désarme. On l’entoure. Mais il est trop tard…

Comme Kollechtka naguère, il vient de s’infecter mortellement. »

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