Neuro-nostalgie
Simon Matray éteignit le poste. Ce premier épisode l’avait consterné. Un jour, pour ses enfants, il écrirait ce qu’il avait vécu en neuro-chirurgie pendant ses études. Et comment les accidents de la vie l’avaient orienté vers la communication médicale, avec une pointe de nostalgie qu’il n’osait s’avouer ! Il ferma les yeux et commença l’histoire sur l’écran de sa mémoire.
Comme tous les microcosmes, un service hospitalier est une société en réduction. Du bas en haut de l’échelle, tout le monde s’observe et fantasme sur les intentions de son voisin.
Le travail de nuit a la vertu d’exacerber les sentiments nourris les uns envers les autres. Dans le sens de l’attirance ou du rejet. Quand, de surcroît, la confrontation quotidienne avec la mort vient envelopper cette atmosphère de surveillance permanente, l’idée de la fragilité de la vie décuple l’envie de ne pas perdre de temps et le besoin de se sentir vivant. Les rapports humains, eux, se simplifient. Ainsi, le jeu de la séduction peut être réduit à son expression la plus élémentaire. J’en eus la confirmation quelques jours auparavant, lors d’une garde de nuit.
Vers quatre heures du matin, la nuit n’a pas été trop mouvementée, l’ambiance est à la décontraction et aux conversations légères au sein de l’équipe de garde réunie pour la nuit.
Depuis plusieurs minutes, j’observe une infirmière qui travaille au service de neurologie, le service voisin de palier. Elle vient d’enlever son bonnet, libérant une chevelure mi longue, joliment ondulée. Elle a les yeux discrètement en amande, trahissant sans doute une lointaine origine asiatique, contrastant avec la blondeur de ses cheveux. Son maquillage se résume à un discret point noir au milieu de ses paupières inférieures. Elle ne sourit pas, mais le fin plissé de sa bouche éclaire son visage d’une expression très douce. Je ne faisais que la voir, je me mets maintenant à la regarder, fasciné par les deux petites taches qui ponctuent son regard et lui confère une troublante beauté. Je m’approche d’elle et me penche à son oreille.
- J’ai envie de toi, lui murmurai-je, doucement, sans crainte d’être entendu ou non de ceux qui nous entourent.
- Moi aussi, me répond-t-elle, sans émotion apparente.
Il n’y a pas plus d’arrogance dans mes mots que de calcul dans sa réponse. Notre bref échange est l’expression d’une évidence, rendant superflu tout discours d’approche plus ou moins alambiqué ou convenu. Il nous faut juste échanger un baiser dans l’attente de plus d’intimité à la fin de nos gardes respectives. Pour cela, je l’entraîne dans la chambre d’un de mes malades. En coma profond, il sera le témoin inconscient de nos premiers échanges. À peine sommes-nous entrés, elle me plaque derrière la porte, me prend les lèvres à pleine bouche tout en collant son corps au plus près du mien. On échange un premier baiser, long et passionné. Je suis dans un état d’excitation que la vision soudaine du patient au milieu de sa forêt de tuyaux n’arrive pas à atténuer. Tout juste cette apparition arrête-t-elle une dernière caresse trop suggestive, prélude inévitable à une séance qu’il est préférable de réserver à un autre décor. Je m’écarte lentement de ma partenaire dont je ne connais pas encore le prénom.
- Je termine à 7 heures, lui dis-je.
- Moi aussi. J’ai terriblement envie de toi.
- Moi aussi. Je serai à 7 h 30 dans ma chambre à l’internat, la 7.
- Moi aussi.
J’espère que nos amours seront plus riches que nos conversations, mais j’en ai, je ne sais pourquoi, l’intime conviction ! En sortant de la chambre, je ne peux m’empêcher de jeter un coup d’œil au malade. Stupeur, son visage a insensiblement changé et reflète, j’en jurerais, une muette approbation. Si ma ravissante partenaire et moi-même venons d’inventer une nouvelle méthode de réanimation, les candidats à la neurochirurgie vont se bousculer.
American surgery !
Grey’s Anatomy est une série télévisée dont les principaux héros sont des soignants d’un service de chirurgie d’un hôpital universitaire de la ville de Seattle, le Seattle Grace.
Un personnel très sollicité au vu du nombre de malades, de blessés et de catastrophes dans le pays. Pas saine la région !
Débutée en 2005, elle en est à sa douzième saison. Son titre étrange est un jeu de mot faisant allusion à la fois à un traité d’anatomie anglo-saxon, le Gray’s Anatomy, et au nom de famille de la principale actrice Meredith Grey ; dont on peut dès la première image admirer l’anatomie ! L’adaptation française aurait pu s’appeler Docteur Rouvière, en hommage à Henri Rouvière (1976-1952) dont le traité d’anatomie qui porte le nom est une référence absolue en la matière. Passons !
Ne cherchez pas le Seattle Grace sur un plan de la ville, il n’existe que dans l’esprit des scénaristes. Heureusement, comme on va le voir ! Au vu du premier épisode de la première saison, on est saisi par l’imagination des créateurs de la série. Ont-t-ils déjà fréquenté un hôpital ou est-ce le reflet fidèle de la pratique à l’américaine ? Quoi qu’il en soit, l’ambiance tant médicale que privée est à dégoûter d’entreprendre des études de médecine au beau pays de l’Oncle Sam. A contrario, elle nous réconcilie avec notre propre pratique hospitalière qui, en comparaison, est un modèle de professionnalisme, d’empathie envers les patients et de solidarité entre les membres du personnel hospitalier.
Jugez plutôt ! La série ouvre sur un lendemain de scène érotique où un beau gosse se fait virer par une belle fille qui semble regretter sa soirée. Elle dégage son amant de passage sans ménagement. Jusque là, rien d’anormal ! Mais on n’est pas dupe ! C’est cousu comme du catgut blanc ; on va s’en prendre pour quelques saisons avec leurs amours à éclipse. Bingo. Dès la troisième minute, on rigole en apprenant que la jeune femme, Meredith Grey, rentre comme médecin apprenti dans le service du Dr Derek Shepherd, le partenaire éconduit deux jours plus tôt ! En attendant qu’ils reviennent à de meilleurs sentiments l’un envers l’autre, on assiste à l’entrée de la nouvelle fournée d’internes à l’hôpital, sortis frais émoulus de sept années d’études. Chez nous, l’accueil de nos légionnaires par un adjudant chef, au début de leur formation, est sans doute plus sympathique et plus empreint de chaleur humaine. Ainsi, avant de dire bonjour aux arrivants, la Dr Miranda Bailey,
surnommée «Le Tyran», a une première parole de bienvenue : « Inutile de faire les lèche-bottes, je vous déteste déjà ! » Sa philosophie tient à deux ou trois maximes et règles de conduite auxquelles doivent se plier ses nouveaux « bons à rien, devant être prêts à tout ». « Vous êtes des internes, c’est-à-dire personne, le bas de la chaîne alimentaire de la chirurgie ». Bonjour l’ambiance. En réalité, Bailey mettra pas mal d’épisodes à révéler un cœur plus tendre qu’il n’y paraît. Tout n’est pas à jeter dans le monde de l’esclavage médical.
On vous passe l’épisode où l’interne s’entraîne à suturer une banane, celui où on découvre un médecin qui « déteste les infirmières », et le staff mené par Derek le neurochirurgien. Dépité de ne pas trouver d’explications à des crises d’épilepsie chez une gamine qui, paraît-il, va mourir (On ne sait pas de quoi et elle est parfaitement consciente entre deux crises), il met au défi ses internes de trouver le bon diagnostic.
« Je vais faire un truc très rare pour un chirurgien : je vais demander de l’aide aux internes. Celui qui gagnera aura le droit rarissime d’assister à une opération capitale », tente-t-il de les motiver.
On se croirait à Koh Lanta !
En fait, la fillette souffre d’une hémorragie cérébrale après une rupture d’anévrysme qui est passée inaperçue malgré toute la batterie possible d’examens complémentaires. La neuro-chirurgie aux USA n’est plus ce qu’elle était ! La preuve, c’est le chirurgien qui rase le crâne de la môme avant de l’opérer !
Bref, si tout ça ne se prenait pas terriblement au sérieux, on rirait de cet univers impitoyable, fait d’égos, d’incompétences, de compétitions et de vexations de toute sorte. Et on pourrait se croire dans la série « H », version américaine. Mais, il vaut mieux oublier la désastreuse image de l’hôpital que cette série offre (ou en rire !) et s’intéresser plutôt aux affaires de cœur des protagonistes. Là au moins, nous avons quelque chance de pouvoir parfois nous y identifier.
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